Douze brefs récits traversent la période de la dernière pandémie. Chaque récit est impulsé par la survenue d’une sorte de choc clinique qui dérange les manières de faire des praticiens et ouvre des voies qui n’étaient pas prévues.

Dans nos sociétés marquées par une multiplicité indéfinie dans l’usage des corps et des sexes, on aurait pu imaginer que la psychanalyse devienne obsolète : plus besoin d’un espace dédié à l’articulation des pulsions dans une période où celles-ci semblent se donner libre cours. A y regarder d’un peu plus près, toutefois, la liberté invoquée tient souvent d’un contrôle quasi-marchand. Et les symptômes insistent, de fait, tant qu’il n’y a pas eu moyen de faire valoir leur polysémie. Les pratiques analytiques sont requises à cet endroit, pour autant qu’elles sont susceptibles de réarticuler transférentiellement, c’est-à-dire concrètement, les symptômes.

Ces Chroniques psychanalytiques, rédigées à raison d’un bref récit tous les deux mois entre mars 2020 et février 2022, sont nées d’un travail clinique de terrain, c’est-à-dire là où chaque praticienne ou praticien de la psychanalyse se trouvent sollicité dans son corps et dans sa langue.  Quand les modes d’adresse se transforment, alors les modes de constitution et de réception des symptômes se transforment également : le vidage d’une salle d’attente occasionne des vertiges imprévus, tandis qu’un enfant autiste se met à cracher dans l’espace public ; la panique peut gagner si vient à manquer l’encre nécessaire à remplir une

onirique, ou scène clinique ;  le défaut de vis-à-vis peut faire perdre jusqu’à la familiarité de son propre visage, mais la perspective d’ôter les masques peut aussi déranger au-delà du raisonnable.

Ainsi vont ces Chroniques, depuis ce qui se redessine des pratiques à travers des mouvements de société qui nous dépassent, mais aussi avec les tracés générés par les pratiques analytiques sur ces mouvements de société. Ainsi les mythes de contagion ne manquent-ils pas d’être figés par leurs usages politiciens, notamment depuis la dernière pandémie. Des petits récits analytiques, en revanche, contribuent à relancer une dynamique à cet endroit, à diffracter la question de la contagion entre des catégories qui se prétendraient englobantes.

Ces Chroniques psychanalytiques sont rédigées dans la langue des pratiques, c’est-à-dire en langue courante, accessible à tous, selon le rythme d’une conversation à bâtons rompus. Chacune de ces petites histoires s’est construite comme l’histoire d’un retournement. Ça commence à échelle restreinte : un acte minuscule, ou bien une humeur, une odeur, une peur… volontiers portés au compte de l’individuel. Puis ça se décale. Une bifurcation dans le cours des associations peut faire apparaître tel personnage familial sous un jour imprévu et conduire la porteuse de symptôme, à sa propre surprise, sur le registre du social.  L’assiette du symptôme s’élargit en conséquence, non plus seulement branchée sur les remous particuliers mais sur les désordres du monde. Et sans doute est-ce là que se joue la vitalité de la psychanalyse : non pas tant fixée à un dispositif donné que liée à l’accueil des symptômes, et jusqu’en ce point où les symptômes s’avèrent participer du collectif.